Chronique #86 : Charlotte

Charlotte

David Foenkinos

Editions Gallimard

Paru en septembre 2014

Prix : 18,50e

       Charlotte, prix Goncourt 2014 de l'an dernier raconte la vie d'une artiste peintre allemande ayant vécue sous le règne de la terreur nazie. Née à Berlin, elle se découvre une passion pour le dessin lors d'un voyage en Italie. Elle entre ensuite aux Beaux Arts de Berlin où elle ne pourra pas être reconnue pour son talent à cause des lois antisémites de plus en plus restrictives. Plus tard, elle fuit dans le sud de la France, où elle retrouve ses grands parents réfugiés dans la villa d'une Américaine. Charlotte est finalement déportée et assassinée dans une chambre à gaz à Auschwitz, à 26 ans alors qu'elle est enceinte.

 

         Chaque fois qu'il évoque son livre, David Foenkinos souligne à quel point il lui a été difficile de l'écrire, depuis la découverte de l'artiste jusqu'à l'écriture effective d'un roman qu'il lui soit entièrement dédié, huit ans plus tard. Il l'avait déjà glissé ça et là dans plusieurs de ses romans précédents. Le tout fait sens dès que Foekinos évoque son obsession pour Charlotte, pour sa vie et son travail. Ainsi, le roman, dans son ensemble est poignant : tant dans sa forme, heurtée, morcelée, qui semble porter en elle seule le poids de la vie de Charlotte. En effet, à chaque phrase porte un point final, lourd et un retour la ligne, comme si Foenkinos annonçait son besoin de respirer avant de replonger dans l'horreur. La narration aussi peut surprendre : retour au présent, l'auteur prend la parole puis nouvelle plongée dans la vie de Charlotte.

          Sur l'histoire en elle même pèsent de nombreux nuages. Les premiers mots du roman semblent prémonitoires «Charlotte a appris à lire son nom sur une tombe ». Ainsi on découvre la tragédie familiale qui ronge les Salomon, lourd fardeau de mensonges, de secrets et de non dits qui planeront sur Charlotte toute sa courte vie. C'est aussi le combat de toute une vie. Celui d'une femme, d'une jeune juive en Allemagne nazie. Celui d'une artiste pour trouver sa voie, sa voix, la forme dans laquelle elle pourra transmettre toute sa vie, tout son art.

          C'est également un roman profondément humain, au travers des personnages qui croisent le chemin de Charlotte, à Berlin, puis lors de son exil dans le sud de la France. Rencontres fugaces et gestes d'aides inattendus. Amitiés nouées dans sa fuite. On y croise aussi des passeurs de mémoires, comme le médecin qui a gardé précieusement l’œuvre de Charlotte. « C'est toute ma vie » avait-elle déclaré en lui tendant les centaines gouaches annotées de textes ou de musiques qui composent Leben ? Oder Theater ?¹. Et à travers son travail, ses recherches, Foenkinos transmet à son tour, et dépose dans nos mains la vie de Charlotte et son souvenir.

          On sort de cette lecture changé. Changé par cette femme, ce destin, et par la barbarie, encore. Et je suis sortie avec la seule envie d'en savoir plus, de voir par les yeux de Charlotte, de voir sa vie, son théâtre, ses peintures. Son œuvre est disponible en son intégralité sur le site du musée hollandais de l'histoire juive².

1Vie ? Ou Théatre ?

2http://www.jhm.nl